Depuis quelques jours, l'activité
sismique s'intensifie sous le Vatnajokull,
le plus grand glacier d'Europe situé dans
le sud-est de l'Islande. Sa calotte glaciaire
recouvre plusieurs volcans dont le Grimsvötn
qui est entré en éruption en mai
2011. Cette fois, il semblerait que ce soit son
voisin, le Barðarbunga qui se réveille
après un siècle de sommeil. Sa dernière
éruption remonte à 1910. Plus de
3500 séismes ont été enregistrés
depuis ce samedi 16 août à 3h00 du
matin.
Bárðarbunga
est le deuxième sommet d'Islande. Il culmine
à 2009 mètres d'altitude. C'est
également le plus vaste complexe volcanique
de l'île avec ses 190 km de long sur 25
km de large. La glace qui recouvre le sommet du
volcan atteind 800 mètres d'épaisseur.
Il est isolé de tout et se trouve à
225 km de Reykjavík à vol d'oiseau.
l'intensité et la fréquence
des séismes suggèrent une éruption
prochaine
Pour l'instant, l'éruption
n'a pas démarré mais il y a de fortes
indications d'intrusion magmatique dans le système
volcanique du Barðarbunga. L'essaim sismique
indique la migration du magma dans des dykesintrusion de magma dans
une fissure de l'écorce terrestre.
Deux veines ont été détectées.
L'une à l'est de la caldera du Bardarbunga
et l'autre à l'est du Mont Kistufell en
bordure du glacier Dyngjujökull. D'après
les mesures du jour, le magma se trouve entre
3 et 7 kilomètres de profondeur.
Si la lave atteind la surface,
on peut s'attendre à une éruption
sous-glaciaire explosive avec émission
d'un panache de vapeur mélé de cendre
pulvérisée lors du contact de la
lave avec la glace. L'éruption sous-glaciaire
du Eyjafjallajokull
au printemps 2010 est encore dans toutes les mémoires
et la menace d'un nuage de cendre qui paralyserait
le trafic aérien européen en cette
fin d'été n'est pas à exclure.
L'affaire est donc suivie de près.
Le 21 juillet, un énorme
glissement de terrain a eu lieu dans la région.
Huit cent mètres de montagne se sont détachés
du flanc sud-est de la caldera de l'Askja
pour s'effondrer dans le lac Oskjuvatn provoquant
une gigantesque vague de 20-30 mètres qui
a traversé le lac pour atteindre Viti,
le petit cratère d'explosion rempli d'eau
chaude où les randonneurs aiment se baigner.
Ce tsunami a balayé les rives du lac et
inondé le plateau sur près de 400
mètres. Il n'y a heureusement pas eu de
victime vu que l'événement s'est
déroulé vers minuit mais l'accès
à l'Askja a été interdit
par les autorités pour raison de sécurité.
C'est l'un des plus importants éboulements
répertoriés depuis la colonisation
de l'Islande. Plus d'infos sur le site de l'IMO.
La zone est inhabitée
mais la menace d'éruption perturbe les
projets de voyage dans la région de l'Askja,
du Herdubreid et
de Kverkfjöll.
Depuis le 17 août, la piste Gaesavatnaleid
(F910 sud) est fermée de Herdubreid à
Dyngjuhals. A cause du risque d'inondation, la
route F88 qui mène à Herdubreid
est également fermée. L'interdiction
concerne les véhicules, les cyclistes et
les randonneurs. En effet, en cas d'éruption,
la glace fondue et les débris de roche
déferleront par la rivière Jokulsà
à Fjollum. Notez que c'est la rivière
qui alimente la cascade Dettifoss.
Une vidéo postée
par le Morgunbladid sur youtube explique comment
prononcer "Barðarbunga" correctement.
Phonétiquement, ça donne à
peu près ça : baur-dar-boun-ka en
roulant les R.
Le volcan fut ainsi nommé d'après
le nom d'un viking norvégien qui immigra
en Islande au Moyen-Age, Bárður Bjarnason,
surnommé plus tard Gnúpa-Bárður.
En fin d'après-midi, les
autorités locales ont décrété
l'état d'alerte. La zone au nord du Vatnajokull
a été fermée jusqu'à
la route circulaire n° 1. Voir la carte.
L'évacuation de toute la zone située
au nord du Dyngjujökull est en cours. Il
y a environ 200 touristes dans la région
ainsi que le personnel des refuges et campings.
L'évacuation concerne le Vatnajokull National
Park qui inclut l'Askja, Herdubreidarlindir, Hvannalindir
et Kverkfjoll cités précédemment.
Les fermiers ont également décidé
de rassembler leurs moutons et chevaux qui déambulent
en toute liberté l'été.
--> Mercredi 20 août 2014
L'activité volcanique
sous le Bardarbunga se poursuit. L'intensité
et la fréquence des secousses restent constantes.
Il y a encore eu deux séismes de magnitude
3.0 sur l'échelle de Richter aujourd'hui
(étoile verte sur le graphique de l'IMO).
Les épicentres semblent se concentrer de
plus en plus et se rapprocher de la surface. Mais
les webcams ne montrent rien pour l'instant. Ciel
bleu et temps dégagé sur le glacier.
Bref, on attend de voir ce qui
va se passer. C'est le moment de faire quelques
rappels géologiques de base.
Le magma, c'est de la roche en
fusion. On ne parle de lave que lorsque le magma
perce l'écorce terrestre et s'épanche
en surface. Selon sa teneur en silice, le magma
est plus ou moins visqueux. Très visqueux
si il contient beaucoup de silice et plus fluide
si la silice est minoritaire. Il renferme également
des gaz, ce sont eux qui entraînent le magma
vers la surface (eau, dioxyde de carbone, dioxyde
de soufre, etc...).
Si la lave est visqueuse, les
gaz ont plus de mal à s'échapper
et le font de manière explosive. Si la
lave est fluide, les gaz s'expulsent plus facilement
et forment des fontaines de lave (Stromboli et
éruptions hawaiennes). Les choses se compliquent
quand la lave émerge sous une calotte de
glace. Nous y reviendrons plus loin.
La croûte terrestre est
composée d'une douzaine de plaques tectoniques,
des zones rigides qui flottent et dérivent
sur le manteau terrestre au gré des mouvements
et courants de convection qui agitent le magma
autour du noyau terrestre. A certains endroits,
ces plaques se rencontrent. Si elles ont la même
densité, elles entrent en collision, se
plissent et forment les chaînes de montagne.
C'est ce qui s'est passé il y a des millions
d'années avec les Alpes et l'Himalaya.
Si une plaque continentale rencontre
une plaque océanique, cette dernière,
plus dense et plus lourde, glisse sous la plaque
continentale et s'enfonce dans le manteau. C'est
ce qu'on appelle les zones de subduction. A une
certaine profondeur, les roches de la plaque océanique
se liquéfient sous l'effet de la chaleur
du manteau. Plus on se rapproche du noyau plus
la température s'élève. Cet
apport de matière engendre des volcans
explosifs car le magma ainsi créé
est très visqueux et renferme beaucoup
de gaz. C'est le cas des volcans de la ceinture
de feu du Pacifique (Japon, Kamchatka, Cordillère
des Andes, Indonésie).
Comme les plaques ont une surface
fixe, si elles se rencontrent à certains
endroits, c'est qu'elles se séparent à
d'autres. C'est le cas de l'Islande située
à cheval sur les plaques nord-américaine
et eurasienne (Europe+Asie). Elle s'écartent
l'une de l'autre à la vitesse moyenne de
2 cm par an. Cet écartement crée
des fissures dans l'écorce terrestre où
le magma à dominance basaltique s'injecte
et on assiste à la formation de dorsales
telle la dorsale (ou rift) médio-atlantique.
Bref, les éruptions en
Islande sont plutôt de type fissural avec
un apport de lave venue des profondeurs de la
terre. Seulement, les choses ne sont pas si simples.
La teneur en silice et en gaz dépend aussi
des roches traversées lorsque le magma
se fraie un chemin vers la surface. Il peut mobiliser
d'anciennes roches refroidies et se charger de
silice. Si le magma reste longtemps dans la chambre
magmatique, la silice se décante et s'accumule
dans le fond. On peut donc avoir un début
d'éruption de type fissural avec fontaines
de lave suivi d'une phase plus explosive. Si la
partie la plus visqueuse n'est pas sortie faute
de gaz pour la propulser en surface, elle se refroidit
et se solidifie mais pourra être reliquéfiée
lors d'une éruption ultérieure.
Quels sont les risques actuellement avec le Bardarbunga?
Soit le magma ne fait que s'infiltrer
dans l'appareil volcanique, ce qui se traduit
par ces secousses incessantes depuis 5 jours maintenant
et le gonflement du volcan observé depuis
des années. S'il ne se dirige pas vers
la surface, l'éruption n'aura pas lieu.
L'épisode sismique peut cesser du jour
au lendemain et le calme revenir. Malgré
tout, l'augmentation d'activité volcanique
souterraine peut faire fondre la glace qui recouvre
le volcan et provoquer une débâcle
cataclysmique appelée jokulhlaup en Islande.
C'est pourquoi toute la région au nord
du volcan a été évacuée.
Soit la lave atteind la surface
et entre en contact avec la calotte de glace qui
recouvre le Bardarbunga et on peut s'attendre
à des explosions phréato-magmatiquesréaction
brutale due à la rencontre du magma avec
l'eau ou la glace violentes jusqu'à
ce que toute l'épaisseur de la glace soit
percée ou que le volcan se calme. Cela
dépendra évidemment du point de
sortie de la lave. De toute façon, il y
aura alors d'énormes panaches de vapeur
mélés de gaz et de cendres pulvérisées
accompagnés de jokulhlaups. La glace fondue
et les débris de roches entraînés
par la débâcle s'engouffreront dans
le lit de la rivière Jokulsà à
Fjollum, débordant sur ses rives et inondant
le désert intérieur. Cette course
ne s'arrêtera que dans l'océan Atlantique.
En conclusion, même si
la nature humaine est friande de sensations fortes,
souhaitons que le volcan se calme bien vite sans
entraîner de dégâts. Concernant
la zone fermée au public, elle a été
évacuée avec succès cette
nuit. Les équipes de secours continuent
de chercher d'éventuels randonneurs ignorant
la situation et l'ordre d'évacuation. Notez
que la partie au nord de la route n°1 est
encore ouverte au public. Elle inclut les sites
touristiques très populaires telle que
la chute de Dettifoss,
le canyon d'Asbyrgi,
le parc de Jokulsargljufur
et Hljodaklettar.
Bæring Gunnar Steinþórsson,
un programmeur islandais, a modélisé
en 3D l'activité sismique sous le Bardarbunga.
Grâce aux enregistrements donnant la profondeur,
la magnitude et les coordonnées GPS de
chaque secousse, il a pu programmer un graphique
tridimensionnel mis à jour toutes les minutes.
Visiter son site
pour suivre la progression de l'activité.
graphique 3D des secousses des dernières 48 heures
Les séismes les plus superficiels
enregistrés aujourd'hui sont situés
à 1100 m de profondeur.
Map by Gunnar B. Gušmundsson, Icelandic Meteorological Office
Le graphique publié sur
le site de l'IMO montre la localisation des secousses
les 4 premiers jours (bleu ciel pour samedi, bleu
cyan pour dimanche, jaune pour lundi et orange
pour mardi). On constate que l'intrusion située
à l'est du Mont Kistufell en bordure du
glacier Dyngjujökull a cessé tandis
que celle située à l'est de la caldera
du Bardarbunga continue de migrer vers le nord-est.
C'est encore plus visible sur l'animation créée
par hjalli
sur viméo.
L'Institut
des Sciences de la Terre a déterminé
un modèle basé sur l'épicentre
des secousses et les déformations de l'écorce
terrestre mesurées par les stations GPS
placées au voisinage du Bardarbunga. D'après
leurs calculs, le dykeintrusion de magma dans
une fissure de l'écorce terrestre ferait 20 km de long, 2,1 km de hauteur,
1,6 m d'ouverture (pas étonnant qu'une
faille si étroite génère
tant de friction), se situerait à 3 km
de profondeur et son volume représenterait
80 à 90 millions de mètres cube.
--> Jeudi 21 août 2014
L'activité sismique se
poursuit toujours avec la même intensité.
Hier, on a compté 4 secousses supérieures
ou égales à 3 sur l'échelle
de Richter. De même aujourd'hui, les sismographes
en ont enregistré 4 à l'heure où
j'écris. La plus violente a atteint une
magnitude de 4 ce qui représente une puissance
10 fois supérieure au 3 de cette échelle
exponentielle. L'épicentre se situe au
bord de la caldera du Bardarbunga. D'après
les scientifiques, cela n'indique nullement l'imminence
d'une éruption mais plutôt un relâchement
de la pression occasionné par la migration
du magma en profondeur.
L'intrusion de magma sous le
Dyngjujokull, entre Bardarbunga et Kverkfjoll,
est toujours la plus active mais elle a cessé
sa progression vers le nord-est. Depuis 3 jours,
l'hypocentre des séismes est stationnaire.
Ils ne migrent plus ni latéralement ni
verticalement ce qui fait penser à la formation
d'une poche de magma et à l'élargissement
du dyke. Les secousses prouvent que le magma continue
d'affluer à cet endroit situé à
quelques kilomètres de la surface.
Résumé de la localisation des séismes depuis 6 jours d'activité
Hier, l'avion de l'Icelandic
Coast Guard a survolé le glacier pendant
plus de 6 heures avec des scientifiques à
son bord. Ils ont collecté de nombreuses
informations grâce au radar et détecteurs
thermiques dont l'appareil est équipé.
A leur retour, le géophysicien Magnus Tumi
Gudmundsson a déclaré qu'il n'y
avait aucun changement visible à la surface
du glacier. Ils n'ont noté ni fonte de
glace ni apparition de crevasses ni affaissement.
Il n'exclut pas une éruption mais elle
n'est pas imminente.
Si l'éruption a lieu,
il ne faudra qu'une heure à la glace fondue
pour surgir du front du glacier, 4 heures et demi
pour atteindre l'oasis d'Herdubreidarlindir, 7
heures pour la route circulaire n°1 et 9 heures
pour arriver à Asbyrgi. Si la lave sort
sous le glacier Dyngjujökull, il lui faudra
plus de 24 heures pour percer la couche de glace
et encore plus de temps et de puissance si l'éruption
a lieu dans la caldera qui est recouverte par
800 m de glace.
Une réunion a eu lieu
ce midi à Husavik entre la protection civile,
les habitants de la région et les équipes
de secours pour informer et se préparer
à toute éventualité. L'administration
des routes a examiné où creuser
des brèches dans la route circulaire n°1
pour dévier le flux de la crue et soulager
la pression sur les 3 ponts qui emjambent la Jokulsà
à Fjollum. En effet, il est bien plus facile
de reconstruire un tronçon de route que
de refaire un pont. Cette technique est bien rodée
et a déjà permis de sauver un pont
lors de l'éruption du Eyjafjallajokull
en 2010.
--> Vendredi 22 août 2014
On note peu de changement depuis
hier à part quelques tremblements de terre
supérieurs à 3 sur l'échelle
de Richter. Le plus violent depuis le début
de l'activité sismique a eu lieu cette
nuit peu avant minuit avec une magnitude de 4,7.
Il a même été détecté
par les sismographes américains. Tous sont
localisés au bord de la caldera du Bardarbunga
mais à des profondeurs de 4 à 9
km.
L'IMO les interprête comme
des changements de pression dans la chambre magmatique
du Bardarbunga dûs à la migration
du magma vers le dyke en formation sous le glacier
Dyngjujokull. Il semblerait que la caldera soit
occupée à s'effondrer. C'est ce
qui arrive quand une chambre magmatique se vide
et c'est d'ailleurs ainsi que se forment les caldeiras.
Il est toujours impossible de dire si l'éruption
aura lieu ou non. Les volcans sont capricieux
et imprévisibles.
--> Suivre l'évolution de l'activité sismique sur la page 2
- Réveil du volcan Baršarbunga en août 2014 -
Textes et Photos : copyright France Demarbaix - Toute reproduction interdite - Tous droits réservés